Sweats à capuche, jeans, baskets confortables, barbe de trois jours, ordinateur portable dans une main et tablette dans l’autre ; 

pas vraiment la tenue pour aller au bureau. Alors la panoplie du codeur peut-elle faire bon ménage avec le costume-cravate des banquiers ? La réponse est oui car c’est exactement ce qui s’est passé la semaine dernière à Luxembourg.

Pendant 48 heures, le siège de la Banque européenne d’investissement a accueilli un « codefest » – 56 codeurs du monde entier ont travaillé, mangé et dormi dans le même bâtiment, avec pour objectif d’améliorer les transactions financières grâce à la technologie de la blockchain. La BEI a baptisé l’événement le « challenge blockchain ».

Résoudre un problème de terrain

Lors des « codefests » comme celui-ci, connus également sous le nom de « hackathons », des équipes de programmeurs, développeurs, chefs de projet et autres intervenants s’affrontent pour trouver une solution logicielle à un problème de terrain. 

« Le défi à relever consiste à simplifier les processus de trésorerie qui impliquent actuellement un grand nombre d’opérations manuelles », explique Matevž Nolimal, employé à la direction Finances de la BEI et capitaine de l’équipe blockchain de la Banque.  « La technologie de la blockchain peut potentiellement accélérer, automatiser et remplacer par du code les procédures fastidieuses, mais aussi les intermédiaires ».

>@Mireia Gonzalez Torrijos/EIB

La Banque concourait avec sa propre équipe

Alors en quoi consiste une blockchain ?  C’est un réseau numérique de données divisé en blocs afin d’enregistrer une transaction.  Il peut aider deux parties ou plus à effectuer une opération de manière efficace et en toute sécurité.  C’est un système ouvert, ce qui signifie que toutes les parties prenantes peuvent visualiser à tout moment les informations relatives à la transaction. La blockchain permet à des particuliers ou des institutions d’effectuer des opérations financières sans recourir à des tiers tels que les banques ou autres intermédiaires.

« L’objectif du challenge est de moderniser la finance », déclare Frank Roessig, de la société luxembourgeoise Telindus, qui développe des solutions numériques pour le secteur financier.  Il a participé à l’organisation de l’événement avec la BEI et deux autres groupes : Nyuko, un groupe luxembourgeois qui conseille les entrepreneurs et le Luxembourg Open Innovation Club, qui aide les start-ups innovantes.

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« L’objectif du challenge est de moderniser la finance », déclare Frank Roessig, de la société luxembourgeoise Telindus, qui développe des solutions numériques pour le secteur financier.

« La BEI a besoin d’un gros volume de financement à court terme pour pouvoir fonctionner », explique M. Roessig. « Nous cherchons à savoir si la blockchain peut nous permettre de l’obtenir de manière plus rapide et plus efficace et à moindre coût. »

La blockchain a fait son apparition en 2009 en tant que technologie de base du bitcoin, la fameuse cryptomonnaie. Depuis, elle n’a cessé d’évoluer pour être utilisée dans d’autres applications sécurisées. « C’est une nouvelle technologie et, pour l’explorer, il faut vraiment la tester », poursuit M. Roessig. « C’est ce que fait la BEI en réunissant les meilleurs codeurs au monde pour voir ce qu’ils parviennent à produire. »

Codeurs et banquiers

Francisco Castro, le chef de la division Back office trésorerie de la BEI, a lancé le challenge mercredi et les codeurs se sont mis immédiatement au travail.

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Francisco Castro, le chef de la division Back office trésorerie de la BEI, lors du lancement du challenge.

« C’est seulement la deuxième fois que je participe à un événement comme celui-ci mais j’adore ça », déclare Alicia English, scientifique des données, venue de Rome où elle travaille au sein de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. « Je pense que c’est un avantage que d’avoir les experts à nos côtés pour nous conseiller sur le problème.  C’est ce qui fait la différence par rapport aux événements comparables que je connais. »

Le « challenge blockchain » s’est déroulé en même temps que le forum organisé chaque année par le département Trésorerie de la BEI avec des responsables du secteur bancaire. Les codeurs ont ainsi eu la possibilité de côtoyer des experts de la technologie financière et des représentants des banques partenaires de la BEI et d’obtenir immédiatement leurs réponses. 

« Nous, les codeurs, sommes un peu comme des médecins face à leurs patients, les banquiers, qui nous disent ce qui ne va pas pour que nous puissions les soigner », déclare Miguel Diaz Montiel, un codeur venu du Mexique.

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Miguel Diaz Montiel (à droite) et son équipe pendant le « challenge blockchain » de la BEI

M. Montiel est venu seul au challenge mais il n’a pas tardé à constituer une équipe avec d’autres codeurs indépendants de Chine, du Luxembourg, de France et d’Espagne. « L’équipe s’est formée assez spontanément mais nous sommes vraiment ravis de travailler ensemble », se réjouit-il. Leur équipe cosmopolite en affrontait neuf autres tandis que deux codeurs avaient décidé de concourir individuellement.

Trois jours et deux nuits

L’enjeu était de taille. Certains codeurs n’ont pas quitté le bâtiment pendant toute la durée de la compétition, se contentant, pour gagner du temps, d’un petit somme sur place dans leur sac de couchage ou sur les canapés installés par la BEI. La Banque a fourni jus de fruit et viennoiseries pour le petit déjeuner et force Snickers, Twix, Bounty et autres barres chocolatées pour aider les concurrents à tenir le coup.

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Les 48 heures sont passées très vite et bientôt l’heure fut venue pour les concurrents de présenter leurs solutions au jury. Bon nombre des propositions étaient intéressantes mais le jury en a d’abord retenu quatre avant d’attribuer la victoire à celle de l’équipe Ernst and Young. Nul doute qu’avec leurs t-shirts jaune vif marqués aux initiales EY, les vainqueurs ne risquaient pas de passer inaperçus.

« Je m’attendais à cette victoire car nous avons vraiment travaillé dur », déclare Angel Pavlov, cadre supérieur chez EY.  « Nous avons mis en œuvre à la fois la blockchain et la robotique dans notre solution et je pense que chacun a estimé qu’elle était à même de fonctionner sur le terrain. »

Alors en quoi consiste exactement cette solution ?

« L’équipe EY a cherché à appliquer la technologie de la blockchain et la robotique au processus interne en respectant le cadre existant », explique M. Nolimal de la BEI.  « Leur idée est de conserver toutes les parties prenantes – nos contreparties, les payeurs délégués et les dépositaires centraux de titres - mais de se concentrer sur l’optimisation des procédures internes ».

Même s’ils admettaient s’attendre à cette victoire, les membres de l’équipe EY semblaient néanmoins ne toujours pas en revenir. On imagine que le chèque de 5 000 EUR qui leur a été remis et la possibilité d’un contrat de six mois avec la Banque pour développer leur solution y étaient pour quelque chose. « On va d’abord fêter cela mais j’ai conscience que les choses sérieuses ne font que commencer », a déclaré M. Pavlov.