Le train est meilleur pour l’environnement que la voiture ou l’avion. Le train à grande vitesse peut aussi être plus rapide. J’ai interrogé William Sugrue, ingénieur à la Banque européenne d’investissement, pour découvrir comment fonctionnent les trains à grande vitesse et à quoi ils ressembleront dans le futur.

Par Antonella Santi et William Sugrue

Quelle est la différence entre un train classique et un train à grande vitesse ? Est-ce juste une question de vitesse ?

On peut comparer un train à grande vitesse à une voiture sportive sur une autoroute : ce n’est pas seulement le type de véhicule qui compte. Pour aller vite, il faut aussi une infrastructure adaptée. Sur les voies ferrées, les virages ne doivent surtout pas être serrés, mais au contraire les plus larges possible, et sur les tronçons où les trains circulent à grande vitesse, les croisements sont exclus.

Les véhicules sont également différents des trains régionaux ordinaires. Ils doivent atteindre une vitesse de 300 km/h, voire plus, ce qui signifie qu’ils ont besoin de moteurs puissants, et aussi de freins très efficaces. Sachant que les trajets sont longs, les passagers ne restent en principe pas debout et, par conséquent, il n’y a pas de places debout spécifiques ni de mains courantes. Un train à grande vitesse a également moins de portes qu’un train régional. En effet, les arrêts des trains régionaux ne sont séparés que de quelques minutes, alors davantage de portes sont prévues pour que les voyageurs mettent moins de temps à monter et descendre. Pour un train régional, réduire le temps d’arrêt en gare d’une minute suffit à gagner jusqu’à 12 minutes de temps de trajet à l’heure. Un train à grande vitesse ne s’arrête quant à lui qu’une ou deux fois par heure, de sorte que le gain de temps serait négligeable.

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TGV (Train à grande vitesse), 1981

Quand et où le premier train à grande vitesse a-t-il été mis en service ?

La première fois où un train à grande vitesse a circulé sur une ligne spécialement conçue pour les trajets à grande vitesse, c’était au Japon, en 1964, sur la ligne Tōkaidō Shinkansen, qui relie les villes de Tokyo et Osaka. Les trains pouvaient atteindre 210 km/h sur cette ligne, à une époque où la plupart des pays en étaient encore aux trains à vapeur et le train le plus rapide en service commercial ne dépassait pas 160 km/h. Les premiers modèles de trains Shinkansen étaient profilés en forme de balle de fusil, avec un nez arrondi, ce qui leur a valu le surnom de « bullet trains ». En Europe, les trains à grande vitesse ont fait leur apparition en France près de 20 ans plus tard : le premier TGV français a relié Paris et Lyon en 1981.

Pourquoi et où les trains à grande vitesse sont-ils nécessaires ?

Sous l’angle des temps de trajet, s’il faut moins de quatre heures pour aller d’un centre-ville à un autre centre-ville, les trains à grande vitesse représentent une solution extrêmement attrayante pour les voyageurs et peuvent s’accaparer une part de marché allant jusqu’à 50 % du transport ferroviaire/aérien. Sous l’angle de l’exploitation, si l’on considère le respect de l’environnement, il faut garder à l’esprit que les lignes à grande vitesse sont généralement construites dans les régions où la demande est élevée. Si les lignes existantes ne peuvent pas absorber davantage de trafic interurbain, de navetteurs ou de fret, l’autre solution est le transport routier de passagers ou de marchandises. Pour ce qui est de l’incidence environnementale des trains par rapport aux camions, le transport d’une tonne de fret consomme beaucoup moins d’énergie en train qu’en camion.

La quantité d’énergie nécessaire à un vol Luxembourg-Paris s’élève à 829 MJ, ce qui équivaut à 29 litres d’essence par personne. Le même trajet en voiture consommerait 629 MJ, soit 20 litres d’essence, tandis que le trajet en train représenterait 84 MJ. S’agissant des émissions de dioxyde de carbone, l’avion produirait 72 kg de CO2 par passager, la voiture 55 kg et le train seulement 3 kg, car il est alimenté à l’électricité.

Ces trains sont-ils respectueux de l’environnement ?

Il est vrai que les gens s’inquiètent à chaque fois qu’une nouvelle ligne est annoncée ou construite. Aujourd’hui, toutefois, les projets d’infrastructures doivent satisfaire à des exigences environnementales rigoureuses. Les travaux de construction ne peuvent pas se dérouler pendant la saison de nidification ou d’hibernation, par exemple. Les opérateurs doivent attendre ou transférer les espèces qui vivent sur place vers un site de réinstallation avant d’entamer le chantier. Ils doivent en outre aménager des passages pour la faune ou des ponts végétalisés pour que les animaux puissent franchir les lignes traversant des zones boisées. Et quant à la pollution, les trains à grande vitesse sont alimentés en électricité par une ligne aérienne.

Souvent, les trains à grande vitesse doivent passer dans des tunnels, car ils ne peuvent généralement pas monter de côtes abruptes. Les tunnels ont une incidence nettement moindre sur les cours d’eau, les animaux et les forêts.

La capacité d’une ligne de chemin de fer diffère également de la capacité d’une route. Sur la route, si la voiture qui vous précède est trop lente, vous pouvez la dépasser. Dans la plupart des cas, ce n’est pas vraiment possible sur le rail. Une ligne ferroviaire a un certain nombre de « sillons » par heure, comme un aéroport, qui n’a qu’un certain nombre de créneaux d’atterrissage et de décollage par heure. Or, si les trains mis en service sur une même ligne circulent à différentes vitesses, cela réduit le nombre total de trains qui peuvent emprunter cette ligne par heure par rapport à ce qui serait possible si leur vitesse était identique.  En séparant les trains qui circulent à différentes vitesses, une nouvelle ligne à grande vitesse augmente la capacité pour les trains à grande vitesse, mais aussi pour les trains régionaux, de navetteurs ou de fret plus lents qui utilisent les voies existantes.

En ce qui concerne l’énergie, par exemple, la quantité nécessaire à un vol Luxembourg-Paris s’élève à 829 mégajoules (MJ), ce qui équivaut à 29 litres d’essence par personne. Le même trajet en voiture consommerait 629 MJ, soit 20 litres d’essence, tandis que le trajet en train représenterait seulement 84 MJ. Enfin, s’agissant des émissions de dioxyde de carbone de ce déplacement, l’avion produirait 72 kg de CO2 par passager, la voiture 55 kg et le train seulement 3 kg, car il est alimenté à l’électricité. La différence d’impact environnemental est considérable.

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Pourquoi la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse coûte-t-elle si cher ?

Une ligne ferroviaire à grande vitesse est généralement une nouvelle ligne. Les coûts peuvent varier selon les pays, les coûts habituels de la construction et la topographie (plus le paysage est vallonné, plus les ponts et tunnels nécessaires sont nombreux). Une ligne ferroviaire à grande vitesse peut coûter de 8 à 50 millions d’euros au kilomètre. Ce chiffre semble élevé, mais une autoroute coûte aussi entre 6 et 30 millions d’euros au kilomètre. Quelles sont les possibilités pour assurer une desserte de bonne qualité entre les grandes villes ou sur de longues distances ? Les infrastructures ne peuvent pas zigzaguer entre les reliefs, les cours d’eau et le bâti existant. Il faut donc plus de ponts et plus de tunnels pour passer en dessous ou au-dessus de ces obstacles ou les contourner. Les projets ferroviaires à grande vitesse requièrent couramment d’importants financements. Il fait partie du rôle des institutions financières internationales comme la BEI de soutenir le développement de ce type de projets pour créer des réseaux transeuropéens performants, durables et connectés efficacement entre eux.

Quelles sont les technologies à la base du transport ferroviaire à grande vitesse ?

L’une des principales différences au niveau technologique réside dans la signalisation. Dans les trains normaux, le conducteur peut voir les signaux installés le long des voies en regardant à l’avant du train. Dans les trains à grande vitesse, les signaux sont à l’intérieur de la cabine de conduite. Le train doit-il freiner, ou accélérer ? Doit-il s’arrêter de toute urgence ? Un boîtier avertisseur le communique directement à la cabine du train. Sinon, le temps que le conducteur voie le signal, à 300 km/h, il serait trop tard. Il existe de nombreux types de signalisation « en cabine », de sorte qu’il est difficile pour un train de franchir les frontières internationales, car il doit être capable d’interagir avec tous ces systèmes. Afin de résoudre ce problème d’« interopérabilité » et de créer un « espace ferroviaire unique européen », l’Union européenne soutient le déploiement d’un nouveau système de signalisation appelé « système européen de contrôle des trains » (European Train Control System, « ETCS »). Les nouvelles lignes à grande vitesse construites et certaines lignes existantes ont été équipées de ce système, qui, à moyen terme, permettra aux trains de traverser plus facilement les frontières, notamment en ce qui concerne la signalisation.

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Tableau de bord d’une locomotive à grande vitesse espagnole

Si vous observez les roues, vous constaterez que les trains à grande vitesse, comme tous les autres trains, ont des roues légèrement coniques. Cela empêche les trains de tomber des rails. La surface en contact avec le haut du rail est lisse, mais une collerette (un bord surélevé) dans la partie interne de la roue prévient tout dérapage des roues en dehors de la voie en dernier ressort. La partie plate de la roue a un plus petit diamètre à l’extérieur, ce qui a pour effet que le train reste automatiquement sur la voie sans que la collerette soit amenée à toucher le rail.

Lorsque le train vire à grande vitesse, la voie est légèrement relevée dans le virage. Dans un virage à gauche, le côté droit de la voie est relevé et le côté gauche est abaissé. C’est comme un pilote de moto qui s’incline dans les courbes. Ainsi, le café posé devant vous ne s’envole pas de l’autre côté de la table, car, à 300 km/h, vous subissez une force centrifuge vers l’extérieur du train.

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Détail d’une roue conique

Pourquoi les trains à grande vitesse ne peuvent-ils pas rouler sur les voies actuelles ? Existe-t-il des normes ?

Lorsque les autorités japonaises ont décidé de construire une ligne à grande vitesse, l’écartement des voies (la distance entre les faces intérieures du rail) du réseau ferroviaire national, qui mesurait 1 067 millimètres, était trop étroit pour supporter des trains plus grands, pouvant embarquer plus de passagers. Par conséquent, elles ont créé des lignes spécifiques avec un écartement de 1 435 millimètres, le même que dans la plupart des pays européens, qui est appelé « gabarit standard ». Dans de nombreux pays européens, les trains à grande vitesse peuvent circuler sur les lignes existantes, qui sont également utilisées pour desservir les villes situées à l’écart des lignes à grande vitesse. Les trains à grande vitesse ne peuvent toutefois pas circuler à leur pleine vitesse sur ces lignes.

En Espagne, par exemple, l’écartement de 1 435 millimètres a également été adopté pour les trains à grande vitesse, mais il est plus petit que le reste du réseau espagnol. Certains trains peuvent toutefois modifier leur écartement en cours de route. Lorsqu’ils arrivent au bout d’une ligne à grande vitesse, ils écartent leurs roues pour correspondre au réseau existant et ils continuent leur chemin à la même vitesse que les trains régionaux.

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La Fusée de George Stephenson, l’une des premières locomotives à vapeur

Du reste, l’écartement de 1 435 millimètres a une explication historique. L’ingénieur britannique George Stephenson l’avait appliqué aux chemins de fer de Liverpool et Manchester (le premier parcours ferroviaire au monde fonctionnant exclusivement au moyen de locomotives, sans chariots tirés par des chevaux). Le succès ayant été au rendez-vous, plusieurs autres lignes de chemins de fer ont copié cet écartement.

Dans la majeure partie de l’Europe, les trains roulent à droite, mais dans certains pays, comme le Royaume-Uni, l’Irlande, le Portugal, la Belgique, la Suède, l’Italie, la Slovénie et la France (excepté en Alsace et en Moselle), ils roulent à gauche.

Tous les trains à grande vitesse n’utilisent pas la même tension. En général, les trains à grande vitesse fonctionnent avec un courant alternatif (CA) de 25 000 volts, mais quelques pays exploitent des trains à plus de 200 km/h avec d’autres tensions, notamment 15 000 volts CA en Allemagne, en Autriche et en Suisse. En Italie et en Russie, certains tronçons de lignes à grande vitesse utilisent 3 000 volts CA. Ces disparités sont dues à des raisons historiques.

Des spécifications techniques sur l’interopérabilité ont toutefois été adoptées dans toute l’Europe pour uniformiser les technologies ferroviaires. À l’avenir, les trains pourront donc traverser les frontières beaucoup plus facilement. Un jour, un même train pourra parcourir l’Europe tout entière sans problèmes majeurs.

Quelle vitesse maximale les trains à grande vitesse peuvent-ils atteindre ? Jusqu’où sont-ils sûrs ?

Une vitesse maximale standard ne peut pas être définie. Cela dépend du type de train et du type d’infrastructure. Différentes portions de lignes ferroviaires sont soumises à différentes limitations de vitesse, comme les routes. Certains trains peuvent atteindre 300 km/h, d’autres 250 km/h. L’infrastructure est déterminante. En France, les lignes les plus récentes permettent une exploitation à 320 km/h, et en Chine, certains trains circulent à 350 km/h entre Beijing et Shanghai.

Les contrôles informatiques et autres sont nombreux sur les lignes et dans les trains à grande vitesse. C’est la signalisation interne à la cabine qui commande les trains, ce qui réduit le risque d’erreur humaine. Les principaux points d’accidents sur le rail sont en fait les passages à niveau, mais sur les lignes à grande vitesse, ils ne sont pas autorisés. Les passages à niveau existants doivent même être supprimés si la vitesse d’une ligne existante est augmentée au-delà de 160 km/h.

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© Tomohiro Ohsumi / Stringer/ Getty Images

Le Shinkansen

Existe-t-il différents types de trains à grande vitesse ?

Il existe des trains à grande vitesse à un seul étage et à deux étages. Les trains à double étage sont courants lorsque la demande est très forte, comme entre Paris et Lyon, par exemple. En Europe, les lignes à grande vitesse sont spécialement conçues pour ce type de trains – les tunnels sont suffisamment grands et les ponts suffisamment hauts.

On distingue aussi des trains tractés par locomotive et des trains automoteurs.

Avec une locomotive, qu’elle soit à vapeur, au diesel ou électrique, les trains sont dotés à leur tête d’un moteur qui tracte toutes les voitures. Les voitures ne sont pas motorisées, mais elles ont des freins. L’accélération est concentrée sur les six, huit ou douze roues de la locomotive. Un train automoteur ressemble à un tram ou à une rame de métro. Chaque voiture abrite un moteur. Toutes les roues ne sont pas nécessairement motrices, mais une sur deux ou sur trois est entraînée par un moteur.

Avec un train à grande vitesse tracté par locomotive, comme le TGV français ou le Talgo espagnol, la locomotive peut être décrochée et remplacée par une autre en cas de problème. Avec un train automoteur, comme les modèles les plus récents de l’ICE (InterCity Express) en Allemagne ou l’AGV (Automotrice Grande Vitesse) en Italie, la place laissée libre par la locomotive peut servir à accroître l’espace pour les passagers et, partant, la capacité. Un train automoteur peut accélérer plus rapidement qu’un train tracté par locomotive, mais si l’une des unités a un problème, le train complet doit être retiré de la circulation pour que la voiture soit réparée dans un dépôt.

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La bande verte sur certains ICE (InterCity Express) allemands symbolise un « projet écologique ».

Quel est l’avenir des trains à grande vitesse ?

À l’avenir, la vitesse et la capacité des trains devraient continuer à augmenter. Aujourd’hui, la Chine exploite un service quotidien de transport de passagers payants à 350 km/h, qui couvre la distance d’environ 1 300 kilomètres entre Shanghai et Beijing en à peine plus de quatre heures.

On a aussi constaté récemment l’arrivée de services à grande vitesse à faible coût. Ils ne proposent qu’une seule classe, sans fioritures, mais les trains sont les mêmes. Ils reproduisent le modèle des vols à faible coût. Les gares desservies ne se situent parfois pas au centre des villes. En Europe, les opérateurs de trains sont facturés au kilomètre pour circuler sur les voies ferrées et le prix varie fortement selon le train utilisé, la vitesse, le poids et le type de voie emprunté, si c’est une ligne régionale ou une ligne à grande vitesse. En s’arrêtant dans des gares à l’extérieur des villes, les opérateurs paient moins cher.

L’investissement dans le transport ferroviaire à grande vitesse en Europe favorise l’essor d’un mode de déplacement compétitif et à faibles émissions de carbone pour relier les grandes villes à travers le continent.

Antonella Santi est rédactrice à la Banque européenne d’investissement. William Sugrue est ingénieur ferroviaire à la Banque.