Des applications mobiles et logiciels intelligents  facilitent la difficile entrée des réfugiés sur un nouveau marché du travail

Les réfugiés et les immigrants arrivent dans un nouveau pays riches des compétences et de l’expérience de toute une vie, mais ils ont souvent des difficultés à faire la preuve de leur talent aux employeurs.

Pire encore, les nouveaux arrivants ne disposent sur place ni de contacts ni d’amis pouvant jouer un rôle déterminant dans leur recherche d’emploi.

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Basée à Amsterdam, la jeune pousse SkillLab veut « démocratiser » l’orientation professionnelle, pour reprendre les termes de Karim Bin-Humam, l’un des fondateurs de cette entreprise sociale. Grâce à une application mobile et un logiciel reposant sur l’intelligence artificielle, l’entreprise aide les demandeurs d’emploi à identifier leurs compétences et leur montre comment elles peuvent être mises à profit sur un nouveau marché du travail. SkillLab signe des contrats avec des agences nationales pour l’emploi et d’autres organismes afin d’améliorer les services proposés aux clients.

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Karim Bin-Humam veut « démocratiser » la recherche d’emploi pour les réfugiés et les personnes qui souhaitent changer de carrière. (SkillLab)

Prenons l’exemple d’Omar, originaire du Yémen, qui est arrivé aux Pays-Bas en 2016 avec un diplôme d’études secondaires en poche. Il avait travaillé dans le commerce de détail et l’immobilier en Arabie saoudite, mais peinait à trouver un emploi dans son nouveau pays d’accueil. En 2018, il est devenu bénévole dans un refuge pour animaux, deux jours par semaine, tout en continuant à chercher du travail.

En décembre 2019, en collaboration avec l’agence pour l’emploi de la ville d’Amsterdam, il a passé un test d’évaluation de ses compétences avec l’application « SkillMap » de SkillLab. Avec l’aide du conseiller chargé de son dossier, Omar a repéré que le secteur de la logistique était un domaine intéressant qui correspondait à ses compétences et offrait une possibilité d’entamer une nouvelle carrière. Équipés de son dossier de candidature et de données produites par l’application SkillMap, Omar et son conseiller ont contacté des employeurs potentiels.

« L’application m’a vraiment aidé à faire valoir mes compétences comme je n’avais pas pu le faire lors des précédents entretiens, parce qu’elle m’a donné le temps de les explorer en profondeur dans ma langue maternelle et de les présenter de la façon qui me semblait la plus précise », explique Omar.

En mars, Omar a trouvé un emploi à temps plein chez United Parcel Service aux Pays-Bas.

Accent sur les compétences

« J’ai toujours voulu œuvrer en faveur de l’égalité des chances », affirme Karim Bin-Humam. « Beaucoup d’offres sont fondées sur les diplômes obtenus, les universités fréquentées et les postes occupés, qui renvoient une certaine image. Des personnes comme les réfugiés, qui ne cochent pas ces cases, sont souvent laissées de côté, même lorsqu’elles ont de précieuses compétences à proposer. »

Fondé en 2018, SkillLab était l’un des finalistes de l’édition 2020 du concours de l’innovation sociale, une initiative de l’Institut BEI visant à aider les entreprises à s’attaquer aux problèmes de société. SkillLab a remporté plusieurs autres prix. C’était ainsi l’une des 20 entreprises à obtenir une subvention de Google en 2019 après avoir participé à un concours sur la façon dont l’intelligence artificielle peut être utilisée pour répondre aux problématiques de la société.

Tous les utilisateurs du logiciel SkillLab ne sont pas des réfugiés. Certains ont perdu leur emploi en raison de l’introduction des nouvelles technologies, de l’externalisation et d’autres transformations du marché du travail. L’application SkillLab fonctionne dans 27 langues, dont l’arabe. Et selon Christoph Bretgeld, cofondateur de l’entreprise avec Karim Bin-Humam, l’une des clés de la réussite de leur système est le remplacement des intitulés de poste par le mot « compétences ».

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Pour Christoph Bretgeld, l’une des clés de la réussite du système SkillLab est le remplacement des intitulés de poste par l’utilisation du mot « compétences ». (SkillLab)

« Un intitulé de poste dans une culture peut signifier quelque chose de complètement différent dans une autre culture », affirme-t-il. « Mais les compétences sont plus faciles à traduire. »

Pour lui, un autre avantage de l’approche de SkillLab est qu’elle procure un sentiment d’autonomie et de dignité dans la recherche d’emploi.

« Notre base de données comporte près de 14 000 compétences. Quand quelqu’un nous demande de citer nos compétences, même vous et moi peinons à répondre à cette question. Mais lorsque l’intelligence artificielle s’en charge, elle identifie rapidement les compétences et détermine lesquelles seront probablement associées. » L’application aide à présenter de manière précise les compétences et l’expérience et peut aussi permettre de créer un CV professionnel dans une langue qu’on ne maîtrise pas.

Croissance mondiale

En fin de compte, les demandeurs d’emploi – y compris les personnes qui n’ont pas travaillé depuis des années – expliquent souvent qu’ils ne s’étaient pas rendu compte du nombre de compétences qu’ils possédaient et que l’aide fournie pour les repérer renforce leur confiance, selon Christoph Bretgeld. Disposant d’un tableau plus complet de leurs domaines de compétence, ces personnes ont une meilleure idée du domaine où chercher du travail et quelles formations ou études pourraient renforcer leur valeur aux yeux des employeurs.

Le logiciel de SkillLab aide également les agences et les organismes à tirer le meilleur parti de leurs ressources, surtout lorsqu’une grande partie du travail doit s’effectuer à distance en raison de la crise du COVID-19. Karim Bin-Humam cite l’exemple d’une agence pour l’emploi à Thessalonique, où un grand nombre de réfugiés ont besoin d’aide pour trouver du travail.

« C’est une tâche herculéenne pour l’agence qui doit s’occuper de 300 à 400 personnes par mois et faire aussi face à une barrière linguistique, la plupart de ces demandeurs d’emploi ne parlant pas le grec », explique-t-il. 

En seulement deux ans, l’équipe de SkillLab s’est rapidement étoffée : elle compte aujourd’hui 15 membres et prévoit d’en accueillir plusieurs autres au cours des premiers mois de 2021. L’entreprise a signé des contrats avec plusieurs villes européennes, ainsi qu’avec les autorités finlandaises et plusieurs pays d’Amérique latine. Elle travaille également avec l’Organisation internationale du travail, qui offre des licences d’utilisation de SkillLab à des organisations partenaires notamment en Jordanie et en Égypte.

Selon Christoph Bretgeld, de nombreux membres de l’équipe de SkillLab ont apporté leur expérience du bénévolat et cherchaient à avoir un plus grand impact grâce à la technologie.

« Le travail est constructif, car c’est une source de dignité et il permet de définir notre identité », conclut-il. « Nous avons cherché à donner à ces personnes le sentiment que des possibilités, des perspectives et l’inclusion s’offraient à eux. »